25/04/2010

Son prénom c'est Bonnie

Je déteste cette ville. Je hais sa gare, grisaille et béton, je déteste sortir de la gare et voir se dresser l’énorme centre commercial, blanc, un mur de blancheur imbécile à la suite de l’imbécile laideur de la gare, et l’horizon bouché, et le commerce qui pousse ses dents acérées, qui se propose comme centre de socialisation pour pauvres ados que leurs parents ne savent plus où caser. Je hais les paysages médiocres que font leurs immeubles, petits rectangles tristes posés là comme des culs bavards. Ce n’est partout qu’imbécile béton, voitures niaises, propreté de nantis dans le moche à l’infini et infini. (En plus ils font en sorte que cela dure.)
Mais c’est ici que je travaille, c’est ici que je mange. Alors je sors de chez moi et je marche à petits talons pressés sur le tapis gris qui recouvre la ville, et je la vois. Je ne peux pas marcher les yeux fermés, vous admettrez.

Je suis institutrice. Ça vous amuse ? Je fais institutrice, voilà ce qu’il faudrait dire. Je fais ce que je fais parce qu’il faut bien faire quelque chose. Le plus beau métier du monde, qu’ils disent. Moi j’apprends le français aux petits étrangers. Ils s’appellent Da Silva, Innocent, Rhinaldo. Ils ont l’œil délicieux de leur âge et ils ne savent pas encore très bien le français. Quand ils jacassent dans leur langue, c’est un petit ruisseau fluide ; en français ils sont encore tout empêtrés et ils ont un accent. Certains ont l’accent si joli que j’aimerais que jamais ils ne le perdent. Mais ils grandissent, ils perdent leur accent et bientôt ils sauront qu’ils sont étrangers. Mais non, pourtant, ils ne sont pas étrangers. C’est l’utilisation du verbe être qui posent tant de problèmes ; reconsidérons le verbe être et nos ennuis disparaîtront. Je fais institutrice et ils sont des individus de petite taille qui viennent d’ailleurs.
Lire la suite

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire