Toute seule, enfin ! Elle soupire, époussette son manteau tandis que la porte se referme derrière elle. Elle met les mains dans ses poches avec une désinvolture heureuse et s’éloigne de l’immeuble. C’est le soir, la grande obscurité jaune s’est déjà engouffrée dans la ville ; on entend là-bas des bruits de moteurs, ici il n’y a rien que le silence mat des débuts de soirée. Quelque chose accroche son regard vers le mec devant elle ; elle ne s’y arrête pas. Elle regarde les vitrines, contente, toujours résolument désinvolte. Tiens le mec titube… C’est ça qui avait accroché son regard. Quand il passe sous un lampadaire, elle voit que le mec s’est pissé dessus. « Peut-être est-ce de la merde ? » La voilà d’un coup peureuse, parce qu’il titube et pourrait s’arrêter. Il lui dirait alors quelque chose… Et s’il l’agressait ? Les mecs bourrés… S’engouffrent comme un poison des souvenirs de mecs bourrés, et la sensation physique de la longue rue vide. Elle se sent vermicelle maintenant, perçoit bien ses muscles minuscules et son sac à main rebondi.
13/02/2011
05/11/2010
Irina Lang se marie
Ça a commencé à mon deuxième stage non-payé. Une sorte de légère fatigue. Jusque là, je n’étais pas comme ça, je vous assure. La vie était plus simple. Je dirais que j’étais intègre, voilà ce que je dirais.
La société est bien faite: une fois qu’on n’en peut plus de vivre les uns sur les autres dans nos colocations, qu’on est fatigués d’acheter des fringues à H&M, une fois qu’on s'est mis à rêver devant les lave-vaisselle de nos parents et qu’on a compris combien la résistance, la désobéissance, la révolte ou le désaccord, bref la liberté, avaient pour prix des appartements pourris et le mépris condescendant des régies, c’est là qu’on reçoit un job bien payé. Pas avant. On nous garde le plus longtemps possible la tête à peine au-dessus des flots, un peu suffoquants à la plus petite vague, et sitôt épuisés, c’est bon: on peut entrer dans le système. Moi, longtemps j’ai cru que je mourrais pour mes idées. Mon cul. On me menace de m’arracher un ongle, je trahis toute la Résistance.
Et dans une heure il sera là…
30/10/2010
15/09/2010
Les jours ordinaires
Derrière lui, la porte claque. Il sursaute. Descend du ciel et retrouve son appartement, se retourne ; elle est en train de poser sa veste sur le porte-manteau. Elle s’approche. « Toujours dans les nuages ? » Il hoche la tête. Ils se sourient. Silencieux encore, il pose une main chaude sur sa joue à elle, qui est glacée : « Il fait froid…
-Oui… On ferme la fenêtre ? » Il s’éloigne un peu du rebord ; elle ferme la fenêtre.
« T’es prêt ?
-Quoi ? déjà ?
-On a rendez-vous à 19h...
-Ah, pardon, je croyais que c’était à 19h30… Je vais me laver les dents. » L’écarte un peu de lui. « Ça va, comme je suis ? » Elle le regarde, amoureuse, ses beaux yeux, la délicieuse, son beau regard qui le détaille : « T’es le plus beau, de toute façon…
-Non, mais comme je suis habillé, je veux dire… Je devrais mettre une chemise?
-Ah, mais non. J’aime bien ce t-shirt. » Et parce qu’il lui plaît tant, elle s’approche et l’enlace. Elle a dans les mains tout son torse fin, elle le respire. Après quelques secondes, il s’éloigne : « Faut que je me lave les dents, on va être en retard, je déteste ça. »
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14/09/2010
24/08/2010
25/06/2010
Là-bas... Les merveilleux nuages
Gilles est amoureux de Marion, mais aujourd’hui ce n’est pas la question. Aujourd’hui est un dimanche, et Gilles ne voit pas Marion, les dimanches. Les dimanches, la famille de Gilles se promène. Ils marchent dans les rues de la ville. Les parents devant, Gilles et sa sœur derrière, un peu éloignés. Ils ne se parlent pas. La grande sœur se regarde dans les vitrines et s’arrête devant les magasins d’habits. Gilles, lui, rêvasse en regardant les nuages. Il pense à Marion. Parfois il ne pense à rien.
Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est Marion et les nuages. Marion parce qu’elle est jolie comme un sucre et puis parce qu’elle est maligne. Et les nuages, parce que quand il les regarde, le temps arrête de couler. Les yeux dans le ciel, Gilles est très loin, comme s’il flottait. Il se sent léger. Souvent il pense aux galaxies, aux étoiles, aux planètes. Souvent aussi, il ne pense pas.
Ce dimanche-là comme presque tous les dimanche, la famille de Gilles descend le grand boulevard qui va les amener à la rivière. Là-bas, ils vont manger une glace et peut-être que les parents de Gilles vont se disputer. Ce n’est pas encore sûr ; ils sont assez calmes aujourd’hui.
Mais ce jour-là, sur le boulevard qui descend jusqu’à la rivière, les parents s’arrêtent et se retournent sur le passage d’un vieil homme. La maman de Gilles a plissé son nez, son père écarquille les yeux. Le vieillard continue sa route et croise les enfants. Ceux-ci continuent de marcher, quelques pas, mais finalement ils s’arrêtent et se retournent eux aussi. C’est cette odeur abominable qui suit le vieil homme qui a arrêté la famille sur son passage.
Le pantalon du vieil homme est couvert de merde.
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