J’ai la gueule de bois, j’ai les dents sales et le bus arrive dans 9 minutes. Je le sais parce que c’est le même bus que j’avais pris la dernière fois. Il peut se passer un milliard de choses en 9 minutes. Une bombe peut exploser, un enfant naître, un piéton se faire écraser. Moi j’ai rencontré une petite vieille ce jour-là, pendant ces 9 minutes d’attente, suspendues dans le vide, qui étaient 9 minutes offertes. C’est une aventure bien banale, de rencontrer une petite vieille, ça peut arriver à n’importe qui n’importe quand. D’ailleurs, ça arrive n’importe quand à n’importe qui.
Je suis assise sur ce banc, à l’arrêt de bus et je regarde en face de moi les immeubles comme des champignons rectangulaires, leur couleur improbable, une ménagère qui secoue un tapis à la fenêtre ; un chat m’observe, son air souriant de matou, presque suspendu au-dessus du vide. Je regarde le chat, la tête levée, je lui souris comme il me semble qu’il sourit. (Les chats ont toujours l’air de sourire, mais ça a déjà été thématisé.) Je lui fais donc un sourire de politesse. Je dis, toujours polie : « Minou minou »… Il continue de me regarder, sans réagir. Je me sens tout à fait ridiculisée. Pour me donner une contenance, je sors de la poche de ma veste mon paquet de cigarettes et je m’en allume une. L’alcool, l’excès de tabac, le manque de sommeil, cet épuisement fétide des lendemains, tout cela rappelé en vrac par cette bouffée de clope. J’écrase ma cigarette. Je ne fais plus rien. Pendant un instant, je me concentre sur cela, sur cette impression de puanteur. Assise sur le banc en métal, sur le trottoir gris, sous un ciel terne avec pour tout horizon un immeuble rose pisse (si si, rose pisse. Pas pisseux, non. Pisse.), je recommence à attendre le bus. Tout à fait figée à présent, j’ai donc le rose pisse d’en face qui me rentre dans la rétine et je m’interroge. Comment fait-on cette couleur ? Est-ce là la patine de l’âge, la marque de noblesse des hlm ? Le rose retrouvant une sorte de couleur des origines, l’idée originelle ? jaune pisse, bleu pisse. Quand on les rénove, leurs façades sont criantes, elles hurlent des couleurs infectes, sensées égayer le paysage et ses habitants. On prend les gens pour des attardés, c’est sûr. J’ai envie de prendre un bain.
Lire la suite
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire